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Il est devenu courant parmi les interprètes, lorsqu'ils publient un enregistrement, de rédiger quelques mots sur ce qu'ils croient y avoir fait. Je ne dérogerai à cet usage qu'à moitié - en divulguant ce que je n'ai pas fait.
Je m'étais mis a enregistrer les Tableaux d'une exposition de Moussorgski en ayant conçu un programme utopique auquel j'ai dû, hélas (ou par bonheur), renoncer. Je voulais avoir dans chaque tableau une acoustique différente ; dans chaque Promenade une transition graduelle entre l'acoustique du tableau précédent et celle du suivant. J'aurais aussi aimer a jouer Con mortuis in lingua mortua et Le vieux château sur un instrument désaccordé, comme s'il avait subi les outrages du temps, et qu'il y eut comme un lien secret entre ces deux moments lointains. Cette utopie est-elle promise à se réaliser dans un avenir improbable ? ou bien restera-t-elle plus utile à l'état de projet et de fantasme ? C'est ce que j'ai cru à l'époque ou j'enregistrais. Au rebours des habitudes de Beethoven, Stravinsky ne composait que devant son clavier : naturellement porté à concevoir et à entendre le piano avant toute chose, il se l'imaginait lors même qu'il visait l'orchestre. Tout comme,à l'inverse, le piano de Beethoven laisse souvent deviner un orchestre ; de même que l'orchestre de Bruckner laisse percer l'orgue. Si la version de l'auteur pour quatre mains n'est, dit-on, qu'une transcription, on peut supposer que dans l'esprit du compositeur c'était au contraire la version pour piano qui avait en quelque sorte engendré l'autre. Je ne prétends pas n'avoir jamais entendu Le Sacre du Printemps à l'orchestre. Y est, au contraire, lié l'un des plus chers souvenirs de mon enfance moscovite. Mais,quoique j'en aie mainte fois regardé la partition, je me suis bien gardé de prendre la version orchestrale pour modèle. à quoi bon se livrer délibérément à un exercice inutile et à un malentendu absurde ? Qui veut entendre Le Sacre du Printemps à l'orchestre écoute ou dirige un orchestre ! La version pour deux pianos participe à mon avis d'une orchestration imaginaire où les instants se succèdent suivant des lois qui ne sont pas toujours celles de la civilisation industrialisée - civilisation souvent peu en mesure de raconter l'expérience des ancêtres. Se priver des raffinements de Stravinsky l'orchestrateur pourrait représenter être autant une perte qu'un avantage. Moins "civilisé" qu'un orchestre, le piano me semble parfois plus à même de suggérer les attraits d'un passé barbare, le son "de pierres et d'os", la nostalgie des commencements, le mystère des temps suspendus. "La barbarie avec tout le confort moderne" ironisait Debussy à propos de ce chef-d'œuvre. Sans nécessairement le prendre à la lettre, il y a certainement moins de confort à écouter cette musique quand elle est jouée sur deux pianos. Ajoutons un mot sur un autre lien secret, celui qui unit les deux chefs-d'œuvre. Si j'ai voulu les mettre ensemble, ce n'est nullement pour sacrifier à un trop simple critère national. C'est parce que, dans Le Sacre du Printemps, Stravinski est redevable aux Tableaux d'une exposition de certains traits de son écriture plus que dans aucune autre de ses œuvres. J'aimerais enfin évoquer une autre présence restée a l'état virtuel : il me semble quelquefois qu'entre Le vieux chateau, Gnomus, Les catacombes, Les rondes printanières et Le sacrifice se glisse l'ombre du Gibet et de Gaspard. Andrei Vieru
Le Sacre : joué avec un tel enthousiasme et enregistré avec une telle présence et une telle plénitude. Une version de première qualité de cette juxtaposition d'œuvres inhabituelle. Classic CD Magazine Le pianiste roumain Andrei Vieru fit une apparition fulgurante dans le marché du disque il y a à peu près un an avec un enregistrement splendide des Tableaux de Moussorgski complété par une version pour deux pianos du Sacre du printemps de Stravinsky. Après les avoir écoutés, ils ont immédiatement attiré mon attention grâce à beaucoup de traits qui l'apparentent à son compatriote Radu Lupu : un son de grande densité, une conception très orchestrale de l'instrument, une grande subjectivité interprétative... CD Compact |
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